Résidence d’écriture jusqu’au 1 er octobre 2022

Madame, Monsieur,

Je suis actuellement en résidence d’écriture à l’étranger et cela jusqu’au 1 er octobre 2022.

Vous pouvez si besoin me joindre via mon adresse mail

<danielle.bastien68@gmail.com> et j’y répondrai dès que je le peux

je vous remercie pour votre intérêt.

a bientôt

Danielle Bastien

Acte d’écriture et Acte d’analyse[1]

Littérature ou psychanalyse ? Littérature et psychanalyse. Ecrire. D’abord. C’est la ponctuation qui donne à entendre. Dans la séance. Dans le texte. 

Acte d’écriture et acte analytique. Dans les deux cas il est question d’un sujet comme être de langage, produit, travaillé, transformé dans et par la parole. Les analystes et les écrivains sont des rôdeurs aux frontières de la langue. Ils sont aux aguets des trébuchements de la pensée langagière, et c’est ce cheminement chaotique qui va leur permettre de créer. Gantheret écrit dans La nostalgie du présent : « Dans la littérature et dans la psychanalyse, il ne s’agit pas seulement de mots, mais de mots trace de ce qui est en souffrance de mot, de là où il n’y avait pas de mot mais un désir d’être entendu et parlé[2]. » Duras écrit dans Ecrire : « Ça rend sauvage l’écriture, on rejoint une sauvagerie d’avant la vie, et on la reconnaît toujours, c’est celle ancienne comme le temps. Celle de la peur de tout, inséparable de la vie elle-même[3]. »

A l’image de ce que Lacan donnait comme définition du transfert, le « se laisser faire » est partagé par écrivains et analystes. L’écrivain se laisse faire par les traces de ce qui insiste en lui et qui lui reste inconnu. L’analyste se laisse faire par ce qui surgit et insiste en séance. Lacan dira de Duras : « Elle ne doit pas savoir ce qu’elle écrit, parce que  si elle le savait elle se perdrait, ce serait une catastrophe[4]. » Analystes et écrivains doivent pouvoir être ouverts aux pulsations des traces. Et cela n’est pas toujours possible. 

Analystes et écrivains se laissent surprendre aussi par ce qui vient, ce qui surgit sans qu’on ait pu d’aucune façon le prévoir, l’organiser. Tout comme l’écrivain ne sait pas ce qu’il va écrire, ni s’il réussira à écrire, l’analyste ne sait pas ce qu’il entend, ni ce qu’il va dire après avoir entendu ou ce qu’il va dire en disant ce qu’il vient de dire. Ce qui surgit parle de l’inconnu. Winnicott : « J’ai eu du mal à prononcer ce que je me surprenais à dire[5]. » 

Et la surprise n’est pas toujours salvatrice, vivante, apaisante. La création et la clinique flirtent avec le désespoir, l’angoisse, la mort. Nombreux sommes-nous à avoir regretté d’avoir dit un jour en séance quelque chose qui nous a échappé. Et malgré les paroles rassurantes de Freud qui soutient qu’une interprétation ne peut être qu’inutile et non inadéquate, le doute subsiste. Pour les écrivains aussi la surprise n’est pas toujours agréable. Duras : « Ça va très loin l’écriture, comme en finir avec. C’est quelquefois intenable. Tout prend un sens tout à coup par rapport à l’écrit, c’est à devenir fou. C’est sans doute que j’étais déjà, un peu plus que les autres gens, fatiguée de vivre. C’était un état de douleur sans souffrance. Ce n’était pas triste, c’était désespéré[6]. »

Et tout comme il est impossible de raconter une analyse en cours, que ce soit l’analysant ou l’analyste qui s’y essaye, il est impossible à l’écrivain de dire quelque chose de ce qu’il tente d’écrire. L’analyse ou l’écriture ne surgira que de surcroît. Quelque chose s’est passé, ou pas. Duras : « C’est impossible de parler à quelqu’un d’un livre qu’on a écrit et surtout d’un livre qu’on est en train d’écrire. C’est impossible. C’est à l’opposé du cinéma, du théâtre. Parce qu’un livre c’est l’inconnu, c’est la nuit, c’est clos. C’est le livre qui avance, dans les directions qu’on croyait avoir explorées et qui avance vers sa propre destinée. Et l’auteur est anéanti par sa publication, il doit se séparer de lui, du livre rêvé, comme l’enfant dernier né[7]. » 

Il en va de même pour l’analyse. Pontalis : « L’analyse, comme la vie, on cherche après coup à lui donner une certaine continuité. Mais la mémoire ne garde que des traces, minimes, sensibles. La mémoire vive est faite de traces. L’analyse procède par fragments. On ne peut pas raconter une analyse. Les vignettes cliniques sont des fictions, des constructions. On ne peut que raconter des moments où quelque chose s’est passé, est arrivé. On ne peut relater une analyse que par fragments et non par une narration[8]. »  

L’écriture et l’analyse nous font parcourir les territoires de l’étranger et du familier. Etranger en soi, familier de l’autre, étranger en l’autre, familier de soi. L’écriture et l’analyse s’attardent sur l’étranger en soi, inquiétant, inconnu et pourtant familier. Inquiétante étrangeté de soi, disait Freud. 

L’adresse n’est pourtant pas identique. Elle est là, bien là, dans les deux cas. Pour l’un il s’agit d’un analyste, présentifiant l’autre, l’Autre qui écoute. Pour l’autre il s’agit de lecteurs. Il y a toujours des lecteurs potentiels ou imaginés dans l’acte d’écrire. Lecteurs présents, ou absents. Et c’est bien dans le doute de leur présence effective que les deux actes se séparent. L’acte d’écrire me semble plus osé, plus risqué en nos temps incertains. Et s’il n’y avait personne pour recevoir, éditer. Lire. Etre affecté ? L’autre ne répondrait pas. L’analyse est un acte d’humanité. De reconnaissance qu’un autre existe et que le sujet a à être pris en compte, dans son histoire, sa singularité, sa dépendance, son errance. L’écrivain est sur le fil.

L’analysant sera toujours entendu, tout au moins on l’espère. Mais qu’en est-il pour les écrivains qui ne pourront être publiés, et donc lus ? Paul Auster : « C’est une étrange affaire que de s’asseoir seul dans une pièce pour inventer des gens et des lieux et au fond, personne ne le fait sans en être obligé[9]. » Marguerite Duras : « Etre seule avec le livre non encore écrit, c’est être encore dans le premier sommeil de l’humanité. C’est essayer de ne pas mourir. C’est être seule dans un abri pendant la guerre[10]. » Quelque chose d’inconnu du sujet doit être adressé à quelqu’un qui écoute, lit, le reçoit. Alors seulement, l’étrangeté en soi pourra être reconnue, décryptée, élaborée, pourra devenir familière après avoir été apprivoisée. 

La langue littéraire, celle qui  permet aux mots assemblés de devenir écriture, est une création. Autre que la langue maternelle, tout en s’originant d’elle, elle est langue qui tente précisément de s’en différencier et de s’en séparer. La langue littéraire n’est sans doute que tentative de se séparer de la langue maternelle. Ecrire autrement les choses que l’on a toujours su pour faire jaillir l’inédit, l’inconnu déjà présent dans le familier. Reprendre les mots pour les composer autrement, les décliner sous une nouvelle forme, les entendre différemment. Se séparer, comme l’écrit si bien Nicole Malinconi. Bauchau : « Qu’est-ce que l’imagination ? C’est un rapport de liberté avec l’inconscient, et un charme jeté sur le monstre[11]. » N’en va-t-il pas de même dans l’aventure de l’analyse ? Phrases et bribes de souvenirs, associations et remémorations qui toutes, à un moment ou à un autre, tentent de se décentrer de cette langue maternelle, de la connaître et reconnaître pour en prendre le large, de la circonscrire pour mieux la quitter. S’en séparer, vraiment ?  

Dans les deux actes, celui d’écrire et celui d’analyser, les mots sont mis à l’épreuve, du langage, de la construction, de la création d’une autre langue, novolangue non pas simplifiée comme chez Orwell de 1984 mais au contraire singulière, créative et différenciée. C’est dans la langue que l’histoire singulière se tisse, c’est de la langue que pourra naître un sujet. « A partir de là où était la langue maternelle, un sujet pourra commencer à parler[12]. » Et dans les deux cas, la création sera à l’œuvre, indispensable. En séance, une parole dite sera interrogée, dédite, analysée, refusée, reprise, nuancée, acceptée, refoulée, retrouvée dans un rêve. Dans l’écriture, un mot, une phrase sera barrée, reprise, transformée, reformulée, nuancée, retenue, effacée à jamais. Travail graphique éprouvant la page avec le stylo, ou les copiés-collés infinis des traitements de textes. Semprun jette des centaines de pages, il ne pourra écrire sur les camps que 50 ans plus tard. Le texte ne surgit que de surcroît, dans l’après-coup. Gantheret, dans La nostalgie du présent : « Dans l’écriture et l’analyse il est question de la même convulsion tout juste maîtrisée de la pensée, du lieu d’où s’anime l’originaire. Dans un texte je disparais ; c’est lui qui pense pour moi[13]. » Siri Hustvedt, dans Plaidoyer pour Eros : « Ecrire des romans, c’est comme se souvenir de ce qui n’est jamais arrivé. Cela imite la mémoire sans être la mémoire. Des images apparaissent comme un territoire textuel[14]. »    

La parole de l’analyse et l’écrit du romancier se constituent aux frontières de la mémoire et du rêve. Une séance et un écrit se constituent comme un rêve. Construits à partir de bribes, de souvenirs, de traces mnésiques, ils n’en restent pas moins création nouvelle et originale. Ni rêve, ni réalité. La parole qui fonde le sujet, qu’il soit analysant ou écrivain, ne peut qu’inventer les voies nouvelles à partir des ornières du passé, de ses traces, ses empreintes, ses impressions, ses illusions. Comme s’il s’agissait de s’extraire d’une fiction pour en créer une autre, afin de tempérer les ardeurs du présent, les exigences des contraintes, les peurs qui paralysent, les idéaux qui figent, mais surtout et d’abord le désir de l’autre supposé.     

Les deux actes posent aussi la question du pourquoi. Pourquoi être analyste ? Pourquoi écrire ? Réponse délicate à penser non pas comme désir identificatoire d’adopter une identité connue et reconnue, « Je suis écrivain, analyste », mais comme dimension qui s’impose sans pouvoir être véritablement explicitée. Pourquoi ? « Pour essayer de ne pas mourir », dit Duras, « être obligé », répond Auster. Bauchau, quant à lui, a été aux prises avec les deux actes toute sa vie, il en parle dans son dernier ouvrage Pierre et Blanche : « Avec Blanche Reverchon à la fin de mon analyse je lui ai posé la question : “Est-ce que vous croyez que je pourrais devenir analyste ?” Plutôt pour obtenir sa dénégation, qu’elle m’a donnée d’ailleurs. Elle pensait que je ne devais pas devenir analyste, mais je crois que c’est parce qu’elle savait que l’analyse vous prend trop et vous empêche de donner toute votre force à l’écriture. Elle pensait réellement que ma vocation était d’écrire. Elle ne m’a jamais envoyé un seul patient[15]. » 

Questions infinies sans réponses qui pourtant ne cesseront de nous hanter. Questions qui se doivent de rester ouvertes pour pouvoir soutenir leur énigme. Nul jamais ne sait vraiment pourquoi il entre en analyse ou en écriture, ou pourquoi il en sort, parfois, sans pouvoir en dire un mot. Pontalis : « C’est une imposture de se prendre pour un analyste, de dire “Je suis un psychanalyste”, il en va de même pour l’écrivain qui dirait “Je suis écrivain”. On est pris pour un psychanalyste ou un écrivain, mais il n’y a pas à se prendre pour, il y a même à s’en déprendre[16]. » On l’est parfois un peu et puis plus du tout.  


[1] Extrait d’un texte publié une première fois dans le Bulletin Freudien n° 60, L’écriture et la psychanalyse, en décembre 2014 à l’occasion du trentième anniversaire du Bulletin Freudien. J 

[2] Gantheret F., La nostalgie du présent, Paris, Editions de l’Olivier, 2010, p. 15.

[3] Duras M., Ecrire, Paris, Gallimard, Folio 2754, 1995.

[4] Lacan J., op.cit

[5] Winnicott D. W., Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1975, p. 105.

[6] Duras M., op. cit., p. 25.

[7] Duras M., op. cit., p. 28.

[8] Pontalis J.-B., Ce temps qui ne passe pas, Paris, Gallimard, 1997, p. 55.

[9] Auster P., Le livre des illusions, Arles, Actes Sud, 2002, p. 21.

[10] Duras M., op. cit., p. 31.

[11] Bauchau H., Pierre et Blanche, Arles, Actes Sud, 2012, p.52.

[12] Pour paraphraser Freud… « Wo es war, soll ich werden … »

[13] Gantheret F., op. cit., p. 31.

[14] Hustvedt S., Plaidoyer pour Eros, Arles, Actes Sud, 2009.

[15] Bauchau H., op. cit., p. 52.

[16] Pontalis J.-B., op. cit., p. 55.