Effondrement

Je ne l’ai plus vue depuis des semaines. 

Un jour, elle est venue, croyant avoir rendez-vous avec moi. Elle s’était trompée de jour, d’heure, de semaine. Je n’étais pas là ce jour-là. 

Elle est repartie. 

Elle m’a sonné, longtemps après. 

Elle est là devant moi, à quelques mètres, et sa détresse m’affecte. 

Ça a recommencé. Ça recommence. 

Elle le sent. Elle le sait. 

Moi aussi je le sais, puisque je suis à ses côtés depuis des années. 

Elle sait que je le sens. Et elle a raison. 

Je vois se rouvrir les abîmes sous ses pas. Le moment où ça bascule, ça dérape. Elle interprète des choses qui ne sont pas. Elle a des convictions qui s’évanouissent par la suite. Et puis elle regrette. Mais c’est trop tard. Les autres la regardent de nouveau bizarrement. Elle ne comprend pas ce qu’ils disent. Elle a juste peur. Elle ne veut pas retrouver l’angoisse qui donne envie de mourir. Elle veut continuer à travailler. Comme si tout était normal. Comme si rien ne s’était passé. Elle avait pensé que ce serait simple de changer de travail. Mais ça ne l’est pas. Elle me scrute et elle pleure. Elle essaye de s’accrocher à mon regard et moi je sens qu’elle glisse. Je ne dis pas grand-chose. Mais c’est déjà trop. Est-ce que je serais comme ses collègues, à penser qu’elle devrait arrêter de travailler ? Elle me soupçonne tout à coup. 

Je lui propose qu’on se revoie demain. 

Elle accepte.

In Bastien Danielle, Féminin, maternel, couple. La valse à trois temps d’une psychanalyste, Toulouse, Ères, 2015, 203p.